Une fois n’est pas coutume, j’ai décidé de mettre en ligne la version initiale (que vous pouvez lire ici) ET la version corrigée (suite à des retours de lectrices) du texte « Dead End, L’impasse ». Le titre du texte devient d’ailleurs simplement « L’impasse ». Bonne lecture aux courageux / courageuses qui liront le texte, copieusement remanié par rapport à la v1.
L’impasse
Les carcasses des voitures, des bus et des camions, étiraient leur rouille le long des rues et avenues de la cité abandonnée. Ils donnaient l’impression de flâner et formaient un embouteillage de plusieurs centaines de kilomètres. Mais leurs roues enserrées de lianes et de lierre étaient clouées au sol et même si par miracle leurs moteurs aphones avaient encore pu fonctionner, tous ces véhicules n’auraient pu fuir nulle part.
De part et d’autres, les immeubles vides, aux fenêtres cassées, semblaient se pencher un peu plus chaque jour vers ces témoins muets de l’âge d’or de l’humanité. Certains menaçaient de s’écrouler à chaque instant. D’autres les avaient précédés depuis longtemps et leurs gravats jonchaient les trottoirs, les rendant impraticables.
Au centre-ville, le théâtre et le cinéma étaient retombés dans l’anonymat. La foule avait disparu qui, naguère, battait le pavé avec animation pour assister au jeu des comédiens et entendre les airs de célèbres musiciens.
Désormais, les visites que recevaient les sièges désossés et les scènes effondrées se limitaient à une armée de rongeurs, de chats sauvages et de chiens errants. Dans les parcs alentour, des écureuils se faufilaient encore le long des troncs d’arbre. Ceux-là faisaient partie des rares espèces à avoir survécu à la folie humaine. Car même en plein été, la ville ne bruissait plus du bourdonnement des abeilles ni du chant des oiseaux. Dans les cieux, le silence régnait désormais en maître absolu.
Depuis le cataclysme, la nature peinait d’ailleurs à reprendre le dessus. Il paraissait pourtant inévitable qu’elle y parvienne un jour. Bientôt, de nouvelles racines crèveraient le bitume des ruelles, que coloniseraient peu à peu les insectes rampants sur cette terre malade, mais en voie de guérison.
Dans les espaces urbains désertés par leurs créateurs, les derniers lieux à avoir connu la cohue des heures de pointe furent les gares. Car dans les ultimes instants, les hommes s’y réfugièrent en masse, avec au cœur le vain espoir de monter à bord de trains en partance pour la campagne et d’hypothétiques zones de quarantaine. La réalité, bien sûr, s’empressa de démentir ces rumeurs absurdes.
Car nulle région n’avait été épargnée, pas même les îles les plus isolées. Les courants marins s’étaient chargés de charrier le virus comme les vents l’avaient fait aux premiers jours du cataclysme.
La population humaine, déjà en chute constante au cours des décennies précédentes du fait de la raréfaction des matières premières essentielles à sa survie, se serait-elle soudain résignée à commettre un suicide collectif ?
Pas une voix, en tout cas, ne s’éleva pour faire cesser les activités du laboratoire Ultime Recours, financé par de puissants fonds privés.
« Il n’y a pas trente-six solutions », proclamèrent les scientifiques responsables du projet Impasse pour justifier leurs travaux. « L’humanité doit entamer une phase de décroissance rapide ou courir le risque de disparaître à très court terme ».
Isolant les germes les plus destructeurs, ils peaufinèrent leur programme de recherche qu’ils baptisèrent finalement « Grande Loterie ». L’idée était effrayante de simplicité : confectionner un virus susceptible d’éradiquer quatre-vingt-cinq pour cent de la population humaine afin de redonner à la planète le temps de souffler, de reconstituer ses réserves. Ils n’essayèrent même pas de créer un antidote. Le hasard seul déciderait des survivants.
Les résultats dépassèrent leurs espérances les plus folles.
La première semaine du cataclysme provoqué sciemment par les hommes, la moitié du règne animal périt. Le mois suivant, les trois quarts de la faune et la quasi-totalité des humains disparurent de la surface de la Terre. Les quelques survivants, retombés dans la sauvagerie, ne tarderaient pas à s’éteindre pour de bon.
Et au sein de la zone d’isolement de l’hôpital privé où étaient nés les germes de la destruction, les derniers cadavres de ceux qui s’étaient cru les égaux des Dieux achevaient de se décomposer dans l’indifférence générale.
Mots à exploiter, issus du blog d’Asphodèle – Les plumes de l’écriture:
Voiture / rue / immeuble / abeille / théâtre / anonymat / animation / pavé / visite / parc / asphalte ou bitume / bus / fuite / flâner / embouteillages / urbain / gare / cohue / chuter / constant ou constance / hôpital