Destinée

Lorsqu’il sortait sa boite de jeu élimée, elle ne pouvait résister à l’appel des personnages de bois et du plateau de cuir. Alors il époussetait la boite et libérait les effluves indescriptibles en ôtant précautionneusement le couvercle.

Ce jour-là, Morgane passa sa main droite sur l’une des figurines, qui se para d’une barbe blanche, d’une couronne et d’une longue cape en hermine…

— Il me semble que tu as une idée derrière la tête, Morgane, avança Merlin en étirant ses moustaches entre ses doigts.

— Depuis que nous avons quitté la douce contrée d’Avallon, nous nous délassons l’esprit grâce à ce jeu. Pour autant, je pense que nous pourrions faire de ces petits êtres de bois davantage qu’un simple divertissement.

Ce disant, elle agita le roi miniature devant le visage de Merlin, qui ne put s’empêcher de le suivre des yeux avec la plus grande attention. Cette fois encore, Morgane avait suscité en lui un vif intérêt. Il lui tardait de comprendre où elle voulait en venir et il le lui demanda.

— Vois-tu, Merlin, je te sais fin observateur des gesticulations humaines et de leur caractère vain.

— J’en conviens, confirma Merlin d’un hochement de tête.

— Alors, je pense que tu approuveras cette idée qui est la mienne : oublions manants et demoiselles. Influençons Seigneurs et autres puissants de ce monde, pourquoi pas ? Œuvrons ensemble pour aider l’humanité à s’élever de la fange dans laquelle elle se vautre avec tant de complaisance.

— Noble ambition, mais vaste tâche. Par où commencer ?

Morgane se pencha sur le jeu, tapota du doigt une figurine de bois qui prit l’allure d’un jeune garçon.

— L’heureux élu se nomme « Arthur », déclara la fée. Je ferai de lui un roi et tu seras son plus proche conseiller. Seras-tu à mes côtés dans ce projet, Merlin ?

Le sorcier hocha la tête d’un air pensif, mais ne répondit rien. L’avenir s’en chargerait à sa place.

Ce texte est le sixième rédigé par Agreste Piaf, pseudonyme collectif à 4 mains en collaboration avec Sylvain-René de la Verdière.

Terra Nova – S1E2 – Doryphores

Liens:

Prologue et Sommaire des épisodes

Résumé de l’épisode précédent:

Denis Law est chargé par les régulateurs locaux d’assurer la sécurité du secteur « Neotopia » a bord du vaisseau Terra Nova.

Une tentative d’infiltration de la salle de navigation est déjouée par Lena Dantes, l’assistante de Denis.

Les régulateurs leur demandent d’enquêter.

 

Épisode deux:

Denis Law jeta un coup d’œil en direction du ciel artificiel : il tenait à en profiter jusqu’au dernier instant. Car à moins d’habiter au cent-cinquante-sixième étage supérieur, au plus haut de la ville-perchée, le parc d’agrément de Néotopia était le seul endroit de tout le vaisseau d’où l’on pouvait contempler la chaude lumière du soleil. Partout ailleurs, ce n’étaient que tunnels et cavernes d’acier baignés par un éclairage cru, froidement métallique. La clarté la plus absolue, sans échappatoire, régnait ainsi presque partout grâce à des lampadaires rococo disposés à intervalles très rapprochés, ainsi qu’à des millions de leds incrustées dans le mobilier urbain. Par contraste, les ombres dispensées par les arbres du parc étaient particulièrement prisées.

Poussant un léger soupir, Denis se courba en avant et monta dans le véhicule choisi par Lena Dantes : c’était un taxi banalisé, à la carrosserie rouge vif tout ce qu’il y avait de plus règlementaire. De quoi se fondre dans la circulation sans éveiller l’attention, avec une différence de taille par rapport au modèle standard : un blindage à toute épreuve et une IA autonome capable de prendre des décisions rapides en cas de pépin. Aussitôt à l’intérieur, Denis ouvrit le coffret dissimulé sous le siège arrière gauche. Il en sortit une veste beige un peu élimée ainsi qu’un jean en tissu synthétique et une paire de baskets vert clair : la tenue à la mode chez les doryphores. À l’avant, Lena fit de même, revêtant une robe d’inspiration orientale, près du corps et fendue sur les côtés, depuis les hanches jusqu’aux chevilles.

Pendant ce temps, l’IA avait démarré en douceur et s’était insérée dans la circulation pour rejoindre le tunnel de la bretelle ascensionnelle la plus proche. Ces rubans d’asphalte inondés de lumière formaient des spirales s’élevant jusqu’aux plus hauts étages et s’enfonçant dans les profondeurs de Néotopia. Ils étaient l’unique moyen de se rendre au quartier des Doryphores, aucun accès piéton n’ayant été prévu. C’était intentionnel : les insulaires, comme ils étaient parfois appelés, veillaient jalousement sur leur sécurité et s’isoler le plus possible du reste de la cité leur était apparu comme la solution la plus simple à appliquer.

L’attente ne fut pas longue, pour une fois, grâce à une circulation à peu près fluide. Pourtant, Denis s’impatienta rapidement et, manipulant les commandes de son fauteuil, il fit se retourner celui de Léna pour qu’elle lui fasse face. Elle ne manifesta pas la moindre surprise. Elle se contenta de sourire d’un air détendu et lissa ses manches du bout des doigts : la soie en était légèrement froissée.

— Quel est le programme ? lui demanda Denis, tout en se tournant vers la vitre pour fixer des yeux le visage du conducteur du véhicule qui s’était porté à leur hauteur.

Ce dernier ne se rendit pas compte qu’il était observé de près et il accéléra quelques instants plus tard, aussitôt remplacé par un autre.

— J’ai pris la liberté d’informer Heinrich Sammer de notre venue. Il nous attend.

— Ce gars me hérisse le poil et il me semblait avoir dit que je voulais me détendre, déclara Denis sur un ton sec, en faisant la moue.

— Monsieur Sammer a des connexions dans tout Néotopia, depuis la ville perchée jusqu’à Bafosse. Des rumeurs font état de liens supposés avec les régulateurs de la zone Terminus.

— Je l’ignorais. Pourquoi ne pas me l’avoir signalé plus tôt ?

— L’information n’est ni officielle ni validée par les régulateurs concernés, répondit Lena sans se départir de son sourire discret.

— Mouais. Mais depuis quand es-tu au courant ?

Lena resta silencieuse une poignée de secondes avant de répondre.

— Trois jours, dix heures et trente-sept minutes.

Denis se renfrogna, mais ne répliqua rien. Lena l’agaçait avec son sens millimétrique de l’exactitude, là où lui-même préférait se fier à son instinct. Et celui-ci lui soufflait de se méfier d’Heinrich Sammer comme de la peste.

Lena le coupa dans ses pensées :

— Nous arriverons bientôt au sas d’admission. J’estime que nous y serons dans vingt-deux minutes étant donné l’état de la circulation.

Denis cligna des yeux et l’heure s’afficha sur sa rétine droite : dix-neuf heures vingt-sept.

— Où passerons-nous la nuit ?

— J’ai réservé une chambre à l’hôtel Carpey, situé en face de la résidence de monsieur Sammer. De là, nous pourrons rendre des visites impromptues aux divers indicateurs recensés dans le quartier. Je sais, ajouta-t-elle, que vous aviez également en tête de vous détendre après votre entrevue avec messieurs les régulateurs Deus et Treus. Mais j’ai pensé que nous pouvions joindre l’utile à l’agréable.

— Te connaissant, j’imagine sans peine que tu vas me faire me lever à l’aube, demain. Du coup, je n’arrive pas vraiment à visualiser la partie « agréable » du séjour…

— Elle sera pourtant bien présente, ne vous inquiétez pas. Peut-être pas dès le début, bien sûr. Mais plus longue est l’attente, plus savoureuse est la récompense, n’est-ce pas ? dit Lena, sans la moindre once d’ironie perceptible dans la voix.

Denis se mordit les lèvres. Il se sentait tout à coup comme un gosse gourmandé par sa mère parce qu’il aurait osé réclamer sa part de gâteau.

Le taxi ralentit à cet instant pour s’engager sur une route secondaire, laissant derrière lui la spirale ascensionnelle et sa vive clarté. Devant eux s’étendait ce qui ressemblait furieusement à une voie de garage mal éclairée, à la chaussée endommagée par endroits. Pourtant, cette ruelle sombre menait presque directement au cœur du domaine d’Heinrich Sammer. Seulement quelques centaines de mètres plus loin, elle était barrée sur toute sa largeur par un cyclopéen portail d’acier, qui n’aurait pas juré au sein d’un complexe industriel. Il était zébré de longues plaques rougeâtres : de la fausse rouille, probablement, songea Denis, blasé.

L’IA stoppa le véhicule au niveau d’une incongrue et rutilante borne de contrôle. Un androïde de sécurité en sortit par l’arrière et se porta à leur rencontre. Après avoir repositionné son siège dans le bon sens, Lena ouvrit sa vitre. La voix sèche et mécanique du robot gardien emplit l’habitacle.

— Avez-vous rendez-vous ?

Ses systèmes d’autodéfense n’étaient pas visibles, mais Denis avait déjà vu de quoi les androïdes étaient capables. Il se tint donc parfaitement immobile, laissant le soin à Lena de montrer patte blanche.

— Nous sommes les agents Denis Law et Lena Dantes. Monsieur Sammer a été prévenu de notre arrivée.

Le garde resta silencieux un instant, puis il se détourna et réintégra sa guérite. Peu après, le portail s’effaça devant le taxi, qui redémarra sur les chapeaux de roues. Ils n’étaient pas en avance et leur hôte était réputé pour son impatience…

Mots à exploiter, désignés par le blog d’Olivia Billington – Des mots, une histoire :

Lumière / éclairage / clarté / lampadaire / attente / rendez-vous / quand / bientôt / demain / jour / nuit / aube / début

Soit vous prenez tous les mots, soit vous n’en sélectionnez que cinq et vous ajoutez la consigne suivante : le lieu de l’action doit être au bord d’un lac.

Logo - O.Billington - désirs d'histoires

Une journée sans Facebook n’est pas sans conséquence…

— On a un problème, chef…

— Quoi donc, le bleu ?

— Demain, tous les humains vont se déconnecter de Facebook.

— Merde, on est déjà le 27 février, aujourd’hui ? Ça passe à une de ces vitesses, le temps…

— Qu’est-ce qu’on fait, chef ?

— Qu’est-ce que tu veux qu’on fasse ? On serre les fesses et on espère que les batteries de secours tiendront le choc 24 h… Sinon, c’est la panne générale et le crash assuré en plein Paris… Je l’imagine d’ici, le tableau, tien. Ce serait pas joli-joli, notre vaisseau mère posé en plein sur le Louvre… Enfin, quand je dis « posé », je me comprends, hein…

— Notez bien, chef, que c’est une bonne idée que vous avez eue, de pomper l’énergie de tous ces cerveaux humains connectés ensemble via ce réseau Facebook. Depuis le temps qu’on était plus ravitaillés en carburant, ça commençait à craindre sérieusement du boudin. Mais à un moment, il faudra vraiment qu’on trouve le moyen de leur faire oublier cette foutue journée sans Facebook…

C’était un texte « Microphéméride »

image microphémérides

Bilan hebdomadaire n°8

Bonjour tout le monde !

 

Le programme de la semaine n’a pas été 100% conforme à ce que je prévoyais… ^^

Bon, j’ai participé à l’atelier de la semaine d’Asphodèle, avec le texte Terra Nova – Law (vous pouvez également en consulter le prologue).

Il s’agit, comme prévu dimanche dernier, du premier épisode d’une web-série de SF dont je suis, bien sûr l’auteur (était-ce nécessaire de le préciser? ^^’ ). J’espère que tout se passera bien avec ce nouveau bébé, et que vous lui réserverez, semaine après semaine, votre meilleur accueil. Je ferai de mon mieux, en tout cas.

Par contre, je n’ai pas encore repris les corrections du texte « é-kho-6(tm) », ni terminé l’écriture d’un texte Steampunk destiné aux éditions Elenya.

Par contre, j’ai voulu participer au projet de Vincent Corlaix, « Un nouvelle à la carte« . Je devais écrire environ 150 mots pour participer à ce projet (tout le monde peut le faire, d’ailleurs, n’hésitez pas!).

Le résultat, c’est que ça s’est transformé en un texte qui fait actuellement 2 700 mots, et qui devrait s’achever en environ 3 200 mots. Bon. ^^’

 

C’est tout pour le moment. Bonne fin de dimanche à vous tous / toutes. 😉

Terra Nova – S1E1 – Law

Ne pas hésiter à lire le prologue, même si cela n’a rien d’obligatoire.

Sommaire des épisodes

Denis Law pencha la tête vers la droite, donnant encore davantage l’impression à ses interlocuteurs de faire face à un oiseau de proie. Sa coupe de cheveux en brosse et sa veste militaire complétaient le tableau. La touche finale, quant à elle, était apportée par le regard acéré avec lequel il balayait les environs à chaque instant. Il semblait à la recherche constante du moindre mouvement suspect, du plus petit détail qui ne cadrerait pas avec l’idée qu’il se faisait du monde et de l’ordre qui se devait d’y régner.

Pour l’heure, un point vert lumineux venait d’apparaître sur le côté droit de son champ de vision : Lena Dantes tentait de le joindre. Il activa son implant visio, et l’image en 3D d’une ravissante jeune femme tirée à quatre épingles, en grandeur nature, se matérialisa devant lui. Celle-ci observa Denis un instant sans mot dire, prenant le temps de lisser son chignon du plat de la main. Autour d’elle, plusieurs corps allongés et immobiles baignaient dans une mare de sang. Lena était impeccable. Juchée sur ses talons hauts, ses jambes fuselées moulées dans un costume crème et sa poitrine avantageuse mise en valeur par un bustier blanc, elle affichait ce petit air de dédain que Denis lui connaissait si bien.

— Tentative d’attentat déjouée dans l’aile ouest, au sous-niveau 56. Trois individus infiltrés, tous neutralisés à présent, déclara Lana sur un ton clinique.

—Laissez une équipe de nettoyage sur place et rejoignez-moi. Je suis avez les régulateurs.

— Reçu.

L’image se brouilla et la jeune femme disparut. Denis reprit le contact avec la froide et métallique réalité de la salle d’audience des régulateurs Néotopiens. Deux d’entre eux étaient présents et il était difficile de les différencier : leurs crânes imberbes, au visage creusée de rides plus profondes que le mythique Grand Canyon et à la longue chevelure blanche, se ressemblaient trop pour cela. Du reste, les régulateurs n’avaient plus de corps depuis de nombreuses décennies. Seule leur tête avait été conservée intacte, pour des besoins d’identification plus que dans le but de faciliter la communication avec autrui. Ils baignaient dans des bocaux, eux-mêmes protégés par un champ de force miroitant et irisé, mais des haut-parleurs décryptaient et retranscrivaient la moindre de leurs pensées.

— Votre rapport ? demanda le régulateur Treus.

Bien sûr, ils sont déjà au courant, songea Denis, amer.

— Tout danger est désormais écarté, se contenta-t-il de répondre.

— Votre délicieuse adjointe ne fait pas dans la dentelle, il est vrai, confirma Treus.

Treus fit claquer ce qui restait de son dentier à plusieurs reprises, une lueur amusée au fond des yeux.

C’est ça, marre toi pendant que tu le peux, vieux débris.

— Mais ce n’était pas là l’objet de notre question, compléta Deus, l’autre régulateur. Quel pourrait avoir été l’objectif des intrus, selon vous ?

— L’aile ouest renferme la salle du disque de navigation principal. Notre route s’y affiche en permanence.

— Mais encore ? insista Deus.

Denis se retint de justesse de soupirer, mais ne put s’empêcher de laisser poindre une certaine ironie dans le ton qu’il employa.

— Au sein de la population, de nombreuses voix réclament davantage de transparence au sujet de notre destination finale. Ils ont sans doute décidé d’obtenir l’information par eux-mêmes, faute de communication adéquate sur ce sujet de la part des autorités compétentes ?

— Cette zone est un véritable dédale, indiqua Treus. Nous y avons personnellement veillé au cours des récentes décennies. Comment, dans ces conditions, trois individus lambdas ont-ils pu pénétrer aussi loin dans l’aile ouest ? Vous êtes du genre débrouillard, vous devez bien avoir une idée à nous soumettre ?

— Un traitre haut placé a pu leur fournir un plan ? répondit Denis sur un ton neutre.

— Trouvez le ainsi que ses complices éventuels et éliminez-les. Vous avez carte blanche, trancha Deus.

Un lourd silence retomba ensuite, que Denis finit par rompre en se raclant la gorge.

— Auriez-vous par hasard d’autres désirs qu’il me serait possible de combler ? demanda-t-il.

— Voyez donc de quelle délicatesse ce garçon est capable ! Ah, si j’avais toujours un corps, et un ou deux siècles de moins au compteur… minauda Treus, comme un peu de couleur lui venait aux joues.

— Vous vous croyez drôle, sans doute, agent Law ? intervint Deus d’un ton cassant. Votre rôle me semble clair, mais il nous est apparu que vous le preniez plutôt à la légère, ces derniers mois. Ces la raison pour laquelle nous vous avions convoqué, et les évènements de ce jour nous confirment que nous avions vu juste. Vous êtes chargé d’assurer notre sécurité, en toutes circonstances, et donc d’anéantir toutes les sources de désordre potentiel. Même votre patronyme, « Law », n’a pas été choisi au hasard, figurez-vous. Pour vous aider dans votre tâche, nous vous avons fait don d’implants cybernétiques, qui font de vous un surhomme. Ne vous méprenez pas : ce ne sont que de simples jouets, comparés aux capacités qui sont les nôtres en tant que régulateur. En termes encore plus explicites, vous représentez à nos yeux un bon vieux tube dentifrice : vous êtes là pour nettoyer et faire briller la population de Terra Nova. Lorsque vous serez hors d’usage, nous contacterons la matrice pour lui demander de façonner votre remplaçant. En attendant ce jour, nous comptons sur vous pour vous montrer à la hauteur.

— Vous êtes le bras armé de la justice, agent Law, renchérit Treus. Mais si vos actions se font moins drastiques, s’il nous apparaît que votre capacité à nous satisfaire décline, nous interpréterons cela comme une trahison à notre égard et vous jugerons en conséquence. Est-ce clair ?

Denis hocha la tête en signe d’assentiment. Mais après ce soudain déballage verbal, les régulateurs se turent et leur regard se fit vague. Denis comprit que l’entretien était terminé et il se détourna pour se diriger vers la porte. Mais au moment où il allait poser sa main sur le mécanisme d’ouverture, Treus rompit le silence.

— Si la situation se dégrade, peut-être devrons-nous prévenir Uneus ?

— Vous vous égarez. Nul doute qu’il est déjà informé : rien ne lui échappe, à lui.

Le silence retomba et Denis sentit le poids d’un regard insistant lui démanger les omoplates. Dommage, ça devenait intéressant, se dit-il en franchissant le seuil de la porte pour se retrouver dans un long couloir baigné d’une douce lumière, encadré de murs couleur blanc cassé. Lena l’attendait patiemment et lui sourit en le voyant s’approcher. Il passa à côté d’elle sans lui accorder la moindre attention et elle lui emboita le pas. La façon de se mouvoir de la jeune femme, silencieuse et souple, évoquait à la fois les entrechats d’une danseuse étoile et la grâce mortelle d’un félin.

— Discuter avec ces dinosaures m’a décalqué le cerveau, s’exclama tout à coup Denis. D’un autre côté, je dois dire que pour une fois, les informations distillées par ces vieux chameaux, bien que cachées derrière le fatras d’habituelles inepties, en valaient la peine.

— Était-ce involontaire de leur part ? questionna Lena, sans se départir de son sourire.

— Je l’ignore, pour le moment.

Denis s’arrêta à l’issu du couloir et s’approcha d’un ascenseur express, qui ne s’ouvrit qu’après avoir identifié l’agent Law. Peu nombreux étaient ceux qui avaient le privilège douteux d’être accepté dans l’entourage physique immédiat des régulateurs.

Quelques instants plus tard et une centaine d’étages plus haut, Denis et Lena sortaient de la cabine au beau milieu d’un parc verdoyant, empli du chant d’une multitude d’oiseaux. Aucun n’était visible : il ne s’agissait que d’une bande-son. Pourtant, les bancs et les allées étaient pris d’assaut à toute heure du jour et de la nuit par une foule de badauds, venus écouter en ces lieux magiques la musique factice de la faune artificielle du jardin d’agrément.

Denis leva les yeux au ciel : un magnifique soleil y resplendissait, inondant la cité d’une lumière jaune, chaleureuse. Mais parmi les habitants de la ville-perchée, dont la cime des tours côtoyait les pseudo-nuages, nul n’ignorait que l’astre solaire n’était qu’une simple lampe accrochée à un plafond situé à un kilomètre du sol tout au plus.

— Appelle la voiture, dit Denis. Nous nous rendons au quartier des Doryphores. J’ai besoin d’évacuer tout ce maudit stress.

Lena fit un geste de la main et des pointillés vert vif s’inscrivirent en surimpression sur les rétines de Denis. Une distance s’afficha également : cent trente mètres.

Efficace petite Lena, tu avais donc tout prévu ? songea Denis en se rembrunissant. Il est peut-être temps que je me débarrasse de toi, avant que je ne sois totalement dépendant de tes compétences.

En montant dans le véhicule, garé le long du trottoir, Denis se souvint de la métaphore choisie par Deus pour le décrire. Il eut un sourire crispé.

Vous vous rendrez compte, tôt ou tard, qu’il s’avère plus facile de faire sortir le dentifrice du tube pour l’utiliser que de le forcer à y rentrer à nouveau…

Mots à exploiter, tirés du blog d’Asphodèle – Les plumes de l’écriture:

Dentifrice / délicatesse / deux / débrouillard / désirer / danse / danger / diplodocus (facultatif, transformé en « Dinosaure ») / dentier / désordre / décalquer / drastique / douceur / dédain / désormais / dentelle / dromadaire (transformé en « chameau ») / don / dédale / déballage / doryphore / drôle / départ / disque / déclin / distiller.

Les plumes d'Asphodèle

Terra Nova – prologue

Sommaire des épisodes

 

English version of this post

Le vaisseau-planétoïde Terra Nova errait sans but apparent dans l’immensité spatiale. Seules de rares lumières sporadiques éclairaient encore sa coque gris-clair gangrenée d’impacts de météorites et d’objets stellaires divers. Ses moteurs  s’étaient tous éteints les uns après les autres au fil des générations qui avaient suivi le jour du départ, depuis la station orbitale internationale de la mythique Terra.

Près d’un million d’âmes avaient embarqué aux premiers jours de la diaspora, cinq siècles auparavant. À présent, une petite trentaine de milliers de passagers survivaient tant bien que mal au cœur des entrailles rouillées du mastodonte.

L’ordre continuait plus ou moins de régner, sous la férule des régulateurs et de leurs agents, disséminés à travers la population.

Denis Law, responsable de la sécurité du secteur Néotopia, est l’un de ces agents. Il est secondé par Lena Dantes, jeune femme au caractère bien trempé et d’un flegme à toute épreuve.

Mais une rumeur, que certains avaient crue oubliée, resurgit tout à coup : une nouvelle terre promise serait à portée de main.

L’humanité saurait-elle en profiter pour renaître de ses cendres, ou bien n’était-ce qu’un mirage de plus ?

Bilan hebdomadaire n°7

Bonjour tout le monde,

Vous l’aurez remarqué, il n’y a pas eu de news hebdo dimanche dernier, faute d’actualité suffisamment marquée.

Bon, il y a bien eu la mise en ligne de « Dead End – L’impasse » samedi dernier, suivi de sa version corrigée, le lendemain, dont le titre devient simplement « L’impasse« .

Un texte plutôt apocalyptique, mais basé sur une réalité que je juge bien réelle: l’épuisement des ressources de notre planète.

Par certains côté, la façon dont nous nous goinfrons littéralement sur le dos de la terre évoque en moi l’image d’une société décadente, qui a cédé aux sirènes de la recherche du plaisir et du contentement de tous ses besoins primaires et qui sombre désormais dans la culture du gâchis. Bref.

Cette semaine, deux nouveaux textes partagés. Le premier d’entre eux, « Rêveries », est signé Agreste Piaf, càd un 4 main en collaboration avec Sylvain-René de la Verdière. Il évoque la nature un peu blasé de l’humanité face aux phénomènes les plus étranges, à mes yeux.

Le second, « La vie en rose« , est un texte plus léger qu’à l’ordinaire. Il parle d’amour, une fois n’est pas coutume, et d’objets chargés de souvenirs et d’émotions. Peut-on dire d’un tel objet qu’il acquiert une conscience propre? En tout cas, cette fameuse « boule à neige » intervient à point nommé dans la vie du jeune homme de « La vie en rose ».

Au programme de la semaine prochaine: relecture et début des corrections d’une vieille nouvelle, prise en compte des bêta-lectures de ma nouvelle « E-kho-6(tm) destinée au prix Barjavel, éventuellement écriture d’une ou deux micro-nouvelles pour les microphémérides, et, bien sûr, participation à l’atelier d’Asphodèle.

J’ai dans l’idée, à terme (donc pas forcément dès la semaine prochaine), de commencer une série dans le cadre de ces ateliers d’écriture en ligne auquel je participe désormais (je parle de ceux d’Asphodèle et d’Olivia Billington).

Le thème: une cité intégrée dans un vaisseau aux moteurs morts, errant à travers l’espace, dont la population ets en chute libre depuis quelques années. Les zones laissées vacantes par l’humanité ayant depuis été envahies par une faune et une flore des plus luxuriante, voire dangereuse.

Que vous évoque ce pitch? Seriez-vous intéressés? Cela prendrait la forme de mini-épisodes d’environ 900 mots chacune, qui se suivraient.

 

Sur ce, je vous souhaite à tous et à toutes un bon dimanche ensoleillé. A la semaine prochaine !

La vie en rose

— Qu’est-ce que tu reproches à la sagesse populaire, finalement ? me demande Julia d’un air buté.

— Rien de précis. Je ne sais pas, moi, c’est juste que… C’est dépassé tout ça, non ?

Je me sens un peu misérable en disant ça. Je me rends bien compte que je ne vais pas réussir à la convaincre avec un argument aussi faible, mais je n’y peux rien. J’ai toujours trouvé un peu ridicules les proverbes des grands-mères d’antan. Ça me fait penser aux yaourts et aux baguettes « tradition ». Ce retour aux racines qui ressurgit de plus en plus à mesure que la technologie s’empare de nos vies présente un côté « rétrograde » à mes yeux, mais je n’arrive pas à l’expliquer à Julia. La discussion a commencé dans le bus, s’est poursuivi dans la rue, et pour une fois, elle m’a même accompagné jusqu’à mon appartement. Là, sur le seuil, elle semble particulièrement tenir à me convaincre que j’ai tort. J’ai pourtant ouvert ma porte et fait un pas à l’intérieur, mais je n’ose pas lui dire « au revoir ». Je n’ai pas envie de la vexer, quand même.

— Ce que je pense, c’est que les vieux proverbes ne nous aident absolument plus à mieux vivre, de nos jours, si ? « Noël au balcon, Pâques aux tisons », par exemple, on s’en fout ! On a météo France pour nous donner les températures de la semaine, maintenant.

— Beaucoup de dictons sont plus subtils que ça, et continuent de faire sens. « Aide-toi et le ciel t’aidera », ou encore « Pour connaître ton ennemi, connais-toi toi-même ». Tout ce qui est ancien et hérité du passé n’est pas forcément désuet ou inutile, rétorque Julia.

Je dois le reconnaître, d’un point de vue rhétorique, Julia est parfois une redoutable adversaire. L’impression de mener une partie de jeu d’échecs me traverse l’esprit et je me ressaisis : je ne dois pas perdre ! C’est une manie, chez elle, de toujours tout prendre trop à cœur et de ne jamais accepter qu’elle puisse être dans l’erreur. Mais pour une fois, je refuse que ce nouvel affrontement verbal tourne au fiasco. J’en ai trop l’habitude, ces derniers temps. D’ailleurs, je sens soudain une réplique décisive, définitive et irréfutable me monter aux lèvres. J’en salive d’avance : le goût de la victoire est délicatement sucré et parfumé à la rose, je suis désormais en mesure de le confirmer !

J’ouvre la bouche, j’inspire, et… elle me contourne et entre dans mon studio, comme si je n’existais plus. La garce, elle abandonne avant le coup final ! De surprise, j’en oublie ma phrase et mon esprit se vide de toute pensée cohérente. Cela m’arrive d’ailleurs de plus en plus souvent face à mon amie d’enfance : j’appelle cette sensation de néant « l’effet Julia ».

Soudain, elle se fige et se tourne vers moi, un sourire joyeux aux lèvres.

— Ça alors, tu l’as retrouvé quand ?

Elle se précipite vers ma table de salon et s’empare d’une boule à neige avec une tour Eiffel à l’intérieur. La coque en plastique transparent présente une fissure en forme de croix sur sa face supérieure, et des initiales sont gravées juste à côté : « JB ».

— Oui, j’ai fait un peu de rangement, ce week-end. Il était dans un carton, à la cave, je réponds en tentant de prendre un air blasé.

— Tu te rappelles ?

Elle tient la boule à neige entre ses deux mains serrées, tout contre son cœur, et dans ses yeux flotte l’ombre d’un lointain passé.

— Quoi donc ?

— Arrête ton char. C’est toi qui me l’avais offerte, pendant la classe verte du CM2, à la montagne. Tu avais réussi à trouver la seule boutique des Alpes qui vendait des bibelots avec la tour Eiffel, c’était trop drôle !

— Ça t’avait fait plaisir, non ?

— Ah, tu vois que tu te souviens ! Tu m’avais même embrassée, à l’époque.

— J’ai fait ça, moi ?

Je dois rougir, parce que je sens une vague de chaleur m’envahir le visage. Elle en rit, bien sûr. Elle a toujours adoré me mettre mal à l’aise. Je fixe ostensiblement ma montre, mais elle ne remarque pas mon geste. Elle ne me regarde plus et secoue la boule avec frénésie pour en faire tourbillonner la neige. Je m’approche d’elle dans l’idée de prendre la télécommande de la TV que je viens d’apercevoir, sur la table, mais elle me saute au cou au passage et m’embrasse sur les deux joues.

— J’avais tellement peur que tu ne l’aies jeté, je suis folle de joie ! m’explique-t-elle, les yeux brillants de malice. Alors, je compte quand même un peu, pour toi ?

Je souris, mais n’ai pas le temps de répondre quoi que ce soit. Ses lèvres se collent soudain aux miennes avec passion et mon cœur se brouille. Avant que je comprenne ce qui se passe, je me retrouve allongé sur le canapé, tenant Julia dans mes bras. Mes neurones ont décidé de faire grève, je crois. Une phrase unique tourne en boucle dans mon esprit : « Cueille aujourd’hui les roses de la vie » et je me dis que le réveil, demain, sera sans doute un peu épineux.

Rideau !

 

Mots à exploiter, désignés par le blog d’Olivia Billington – Des mots, une histoire :

Sagesse / Proverbe / Absolument / Subtil / Vieillesse / Ennemie / Adversaire / Jeu / Échecs / Fiasco / Erreur / Accepter / Joie / Plaisir / Offrir

La consigne facultative : votre personnage doit retrouver un objet qu’il avait perdu.

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Rêveries

— Non mais tu as vu ça ? s’exclama Marie en pointant le ciel du doigt.

— Quoi ? répondit Marc sans prendre la peine de lever le nez de son bouquin.

Ils étaient tous deux assis sur un banc public dans le parc des Buttes-Chaumont, pour profiter d’une des rares journées ensoleillée de ce début d’année placé sous le signe de la brume.

— Mais ça, là ! insista Marie.

Marc releva enfin la tête. Là haut, un disque rond d’une dizaine de mètres de diamètre flottait, immobile, entre les gratte-ciel. Personne d’autre qu’eux ne semblait l’avoir vu. Sinon, ce serait déjà la panique, songea Marie.

—  Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? s’exclama alors un agent municipal en passant à côté d’eux…

—  Ça s’appelle un nuage lenticulaire, lança Marc. C’est une variété stationnaire d’altocumulus. Il est magnifique, n’est-ce pas ?

—  C’est que j’ai cru qu’il s’agissait d’un OVNI ! conclut l’agent avant de se remettre en route, quelque peu gêné.

Marie regarda son ami droit dans les yeux et s’adressa à lui, l’air surpris.

—  Tu veux dire que ce n’est pas une soucoupe volante ?

—  Évidemment pas, voyons. Il faut te ressaisir, ma vieille, dit Marc avant de se replonger dans son livre de science-fiction.

—  J’y ai vraiment cru, pourtant, continuait Marie. Je crois même que j’aurais aimé assister à un débarquement d’extraterrestres. Tout du moins s’ils avaient été pacifiques.

Sur ces mots elle sortit un vieux Fleuve Noir de sa poche et reprit la lecture du roman de Bessière des années 1950 qu’elle aimait tant.

Ni l’un ni l’autre n’aperçurent le cigare métallique qui s’extirpa alors du nuage pour disparaître dans l’espace en une fraction de seconde. Le flash produit par la soudaine disparition leur fit bien lever les yeux de leurs livres, mais ils n’y accordèrent aucune importance.

 

Ce texte est le quatrième rédigé par Agreste Piaf, pseudonyme collectif à 4 mains en collaboration avec Sylvain-René de la Verdière.