Tout a commencé par la mise en ligne, sur le site avaaz.org, d’une simple pétition. Son titre ? « Rendons le pouvoir à la rue ! Oui au retour des consultations citoyennes et aux référendums ! Oui à la décentralisation et à la désétatisation de la vie privée en France ! »
L’auteur partait du constat que « trop d’état tue l’état » d’une part, et que la notion de politiciens « représentants du peuple » a quelque peu perdu de sa signification au fil des ans. La conclusion qu’il tire de ses réflexions est limpide: « Il est temps que le peuple français se réapproprie le pouvoir législatif, et ce d’une façon directe ! C’est-à-dire sans passer par les cases Sénat / Parlement / Assemblée Nationale et tout le toutim habituel. »
Les débuts sont discrets. Une centaine de signatures seulement, au bout d’une semaine. Mais soudain, un blogueur célèbre s’approprie le thème, le relance et en fait LE sujet à la mode. Les partages Facebook, retweet et autres reblogs se multiplient sur tous les réseaux sociaux qui trainent. La machine à buzz est initiée.
Au bout de trente jours, le cap du million de signatures est franchi.
Deux mois plus tard, trois millions de Français se sont joints au phénomène.
Aujourd’hui, six mois après la mise en ligne officielle de la pétition, plus de dix millions de personnes ont apporté leur soutien au projet.
De fait, les politiciens, d’abord goguenards à l’évocation de la pétition, ont fini par la prendre au sérieux. La première déclaration réellement fracassante intervient au moment du trois millionième soutien, en la personne du porte-parole du gouvernement :
« L’homme qui est derrière tout cela, et le blogueur qui l’a aidé sont des anarchistes. Nous ne pouvons pas laisser faire cela. Ce serait la mort de l’état de droit ! »
Cette sortie a évidemment aussitôt déclenché un feu roulant de critiques en provenance de l’opposition.
« Le gouvernement a beau jeu de dénoncer une atteinte à l’état de droit. Après tout, le climat d’insécurité fiscale qu’ils ont instauré par leur inconséquence et leur amateurisme en matière de communication a largement plus contribué à annihiler l’idée même d’un état de droit, dans les faits. Après tout, de quel droit disposons-nous encore, nous, citoyens lambdas, à part celui de payer des impôts à géométrie variable ? Ce faux problème de la pétition anar’ me semble n’être qu’un écran de fumée déployé par les incapables qui prétendent nous diriger, afin de masquer les véritables problèmes de la France ! Je ne serais même pas étonné que cette pétition soit un canular, et que le gouvernement soit derrière tout ce « buzz », comme disent les jeunes. »
Par la suite, tout est allé très vite. Trop vite, diront sans doute les futurs commentateurs politiques, les fameux « introduits » ou « insiders ». Trop loin, également ?
Car au six millionième inscrit sur la liste de la pétition, un processus qui semblait inexorable s’est enclenché, faisant passer la pression populaire d’internet vers la rue.
Tout commence avec un premier flash mob lancé via Facebook, au cours duquel plusieurs milliers de participants se répandent au milieu des voies de circulation. La plupart des grandes villes de France sont concernées et voient leur trafic routier totalement stoppé durant plusieurs heures, jusqu’à l’intervention des forces de l’ordre.
Puis, un second évènement mobilise soixante-dix mille internautes selon la police, trois-cent-quatre-vingts-mille selon les organisateurs. Le but ? Perturber le déroulement d’une séance par ailleurs plutôt morne, voire moribonde, de l’Assemblée Nationale. De nombreux sièges d’administrations publiques sont également envahis, ce jour-là : antennes de Pôle Emploi, ministères (dont celui des Finances, à Bercy), sécurité sociale de Nanterre, et tant d’autres…
Cette fois, la police ne se contente pas de refouler les manifestants. Au plus fort de le mêlée, certains de ses éléments craquent face à la pression exercée sur eux par l’ampleur du mouvement de foule. Les avis divergents sur la question, bien sûr. Mais il est sans doute permis de se demander si le terme « répression » ne pourrait pas exprimer de façon adéquate la manière dont les autorités ont pris le problème à bras le corps, ce jour-là.
De là, le cours des évènements n’a fait que se précipiter, de faire boule de neige, entraînant dans son sillage toujours plus de « followers » et les opposant à des forces de l’ordre davantage déboussolées à chaque nouvel incident.
Aujourd’hui, il paraît bien difficile de définir ce qui est en train de se produire. Assistons-nous, à l’heure où je vous parle, à un changement de paradigme au sein de notre société ? Est-ce une révolte ? Quelqu’un se lèvera-t-il soudain pour s’exclamer « Non, Sire, c’est une révolution ! » ?
L’avenir nous le dira, et il s’annonce bien incertain…
Pascal Bléval, pour Bléval News.